Thursday, January 3, 2008

Evasion

"Peut-être qu'il n'y a plus rien?" La terre lui paraissait belle et pure comme après le déluge; deux pies se posèrent ensemble devant lui sur l'accotement, à la manière des bêtes des fables, lissant avec précaution sur l'herbe leur longue queue. "Jusqu'où pourrait-on marcher comme ça?" songea-t-il encore, médusé, et il lui semblait que ses yeux se pressaient contre leurs orbites jusqu'à lui faire mal: il devait y avoir dans le monde des défauts, des veines inconnues, où il suffisait une fois de se glisser. De moment en moment, il s'arrêtait et prêtait l'oreille: pendant des minutes entières, on n'entendait plus rien; le monde semblait se rendormir après s'être secoué de l'homme d'un tour d'épaules paresseux. "Je suis peut-être de l'autre côté" songea-t-il avec un frisson de pur bien-être; jamais il ne s'était senti avec lui-même dans une telle intimité.

(Julien Gracq, extrait // excerpt, Un balcon en forêt)

No comments: